Philosopher

Pour beaucoup de non-initiés, philosopher, c’est principalement discuter. Dire ce que l’on veut, parler pour parler, tenir de grands discours sans autre souci que celui d’être vu, entendu et admiré, pour d’autres il s’agit d’une nouvelle psychothérapie de groupe.
Or il me semble que philosopher implique un travail réel : l’exigence de s’arracher à l’opinion, la sienne propre en particulier, à travers l’autre, concitoyen vivant ou auteur disparu. Sans tomber dans l’excès inverse qui consiste à nier la subjectivité en abusant de l’érudition, l’ascèse et le travail sur soi sont au cœur de cette activité, afin de permettre à l’être singulier de se constituer. Le poujadisme qui consiste à affirmer «Tous philosophes», «Pas besoin de livres» ou «Tout le monde a raison», sans autres préambules ou considérations, assignent la pensée à ce qu’elle a de plus creux. Mêmes écueils que décrits chez Platon : d’un côté les sophistes qui savent et colportent un savoir, de l’autre des individus qui se contentent de débiter des phrases dont ils ignorent l’origine, la nature, le contenu et les implications. Comment tracer une voie entre Charybde et Scylla, un passage aussi ténu qu’une lame de rasoir ? Entre ceux qui attendent que l’on fasse cours et ceux qui veulent uniquement avoir raison, comment instaurer un philosopher digne de ce nom ?

Oscar Brénifier, La consultation philosophique, p. 11

 

Philosophes de métier

(Concernant la valeur des évaluations qui ont eu cours jusqu’à présent) Ici encore on pourra laisser les philosophes de métier jouer le rôle de porte-parole et d’intermédiaires après qu’ils auront réussi à transformer du tout au tout les relations toujours si aigres et si méfiantes, à l’origine, entre la philosophie, la physiologie et la médecine, en un échange de vues des plus amicaux et des plus féconds. En effet, toutes les tables de valeurs, tous les «tu dois» que connaît l’histoire ou l’ethnologie auraient besoin avant tout d’être éclairés et interprétés par la physiologie plus encore que par la psychologie; tous réclament aussi la critique des science médicales. La question de savoir ce que vaut telle ou telle table de valeurs, telle ou telle morale demande à être posée sous les perspectives les plus diverses; notamment, on n’analysera jamais avec assez de scrupule la question «bon pour quoi ?». […] Toutes les sciences ont désormais à préparer la tâche future du philosophe, cette tâche étant ainsi entendue: le philosophe doit résoudre le problème de la valeur, il doit déterminer la hiérarchie des valeurs.

Nietzsche, La généalogie de la morale, 1ère dissertation, 17, remarque